… En 2008, 577 816 personnes, résidantes en France et âgées de plus de 13 ans, ont ainsi entendu un officier de police judiciaire leur notifier leurs droits : « Vous êtes en garde à vue. Vous pouvez appeler un membre de votre famille et demander à voir un avocat. » Le nombre des gardés à vue ne cesse de croître. Il a enregistré une hausse de près de 55 % en huit ans. Au cours des douze derniers mois, c’est 1 % de la population qui a été placée sous ce régime de contrainte, pour lequel les policiers répondent d’objectifs de performance chiffrés.
Jeunes habitants des quartiers difficiles, infirmières, syndicalistes, agriculteurs, étrangers en situation irrégulière, enseignants… la garde à vue concerne toutes les catégories de la population. Tout contrevenant ou suspect peut être placé sous ce statut, les (nombreux) conducteurs contrôlés avec un taux d’alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 % au même titre que les trafiquants de stupéfiants.
Dans la période récente, les militants associatifs et syndicaux, mais aussi les journalistes, ont été visés. Le 28 novembre 2008, le placement au dépôt du Palais de justice de Paris (sans pour autant être sous le statut de la garde à vue) de l’ancien directeur de Libération, Vittorio de Filippis, dans une affaire de diffamation, a provoqué un vif débat. Le 5 décembre 2007, le journaliste Guillaume Dasquié avait subi 36 heures de garde à vue au siège de la direction centrale du renseignement intérieur, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), et avait été pressé de révéler ses sources. Un article sur Al-Qaida publié dans Le Monde le 17 avril 2007 lui a valu d’être interpellé à son domicile. « (A) 8 h 20, coups de sonnette à la porte, a-t-il raconté (Le Monde du 27 décembre 2007). « Direction de la surveillance du territoire, vous êtes en garde à vue, compromission de la sécurité nationale ». »
Cette privation de liberté procède de la décision d’un officier de police judiciaire dès lors qu’existent, selon lui, « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que (ces personnes aient) commis ou tenté de commettre une infraction ». Tels sont les mots de l’article 63 du code de procédure pénale. La garde à vue peut durer 24 heures – c’est le cas de la majorité d’entre elles. Elle peut aller jusqu’à 96 heures dans les affaires considérées d’emblée comme de la criminalité organisée, et même 144 heures en matière de terrorisme. Elle doit être prolongée par le procureur.
Assiste-t-on à un excès de zèle généralisé ? Secrétaire générale de FO-Magistrats, vice-procureur au tribunal de Paris, Naïma Rudloff le déplore : « On place plus en garde à vue qu’avant, surtout pour les contentieux à la mode. On a poussé la situation jusqu’à l’absurde. » Certains y voient une simple formalité qui permet aux policiers d’instaurer un cadre juridique au moment d’interroger un individu, tout en garantissant des droits à ce dernier. « Sûrement pas ! », s’indigne l’avocat Matthieu Barbé.
Habitué des permanences de nuit au barreau de Paris, celui-ci évoque l’atteinte à la dignité des personnes retenues dans des locaux « crasseux » où les odeurs « de pisse le disputent à celles de vomis ». Au commissariat de Versailles, les couvertures qu’on donne aux personnes interpellées « sont couvertes de merde ». « Elles n’ont jamais été lavées », affirme cet avocat qui fut élu (UMP) de cette ville…
A lire sur Le Monde : www.lemonde.fr/archives/article/2009/02/04/la-france-gardee-a-vue_1150561_0.html