Alerte pour les lanceurs d’alerte
Ce sont des gens étranges. Au lieu de rester prudemment soumis à leur hiérarchie, au devoir de réserve, au respect du secret industriel et des intérêts privés, au lieu de préserver à tout prix leur carrière, ils décident un jour de parler. Mettant en doute les vérités officielles, ils publient les informations auxquelles ils ont accès, réclament des études indépendantes, cherchent à mobiliser l’opinion publique. Leurs noms sont plus ou moins connus : Henri Pézerat, l’un des premiers à avoir dénoncé les méfaits de l’amiante, Pierre Meneton, qui ne cesse de batailler contre l’éxcès de sel dans les aliments sciemment entretenu par l’industrie agroalimentaire, Annie Pfohl-Leszkowicz, toxicologue spécialiste des mycotoxines, le pourfendeur des OGM Gilles-Éric Séralini et bien d’autres. Chercheurs ou simples citoyens, ces lanceurs d’alerte (en anglais whistleblowers) paient souvent le prix fort : financements bloqués, mise au placard, campagne de dénigrement, procès ruineux… Harcelés, attaqués de toutes parts, dénoncés comme paranos, ils finissent souvent par le devenir.
Mais justement : vive les paranos ! Non seulement nous en avons besoin mais il n’y en a pas assez.
» Alertes santé » (1), un livre coécrit par André Cicolella (le chercheur qui a lancé l’alerte sur les éthers de glycol), en fait l’éclatante démonstration : dans notre monde hautement technicisé, de nouvelles menaces sanitaires liées à l’environnement ne cessent d’apparaître, dues à des technologies rapidement diffusées dans toute la société alors qu’elles n’ont pas été testées au préalable. Légionelloses provoquées par les climatiseurs, dioxines recrachées par les incinérateurs, effets à long termes des téléphones portables et antennes relais, toxicité des nanotubes de carbone (déjà utilisés dans la plasturgie, les pièces mécaniques, les pneus), etc. : notre société est pathogène, et ce n’est pas le cancérologue Dominique Belpomme, initiateur de l’appel de Paris, convaincu que les quatre cinquièmes des cancers sont dus à la pollution, qui dira le contraire (2).
Reconnaître la légitimité du lanceur d’alerte. Le décharger d’un » fardeau redoutable, celui d’avoir à prouver le risque qu’il dénonce ou la toxicité des produits qu’il met en cause « , comme l’a fait récemment le tribunal de Troyes dans un jugement qui fait date (poursuivi pour » dénigrement fautif » de l’insecticide Gaucho par la firme Bayer, le président du Syndicat national d’apiculture a été relaxé). Créer une sorte de Cnil qui veillerait à assurer l’indépendance des experts sanitaires et environnementaux. Les deux auteurs formillent d’idées – solides, structurées – pour que soient vraiment écoutés les lanceurs d’alerte.
Evidemment, l’idéal serait qu’il n’y ait pas d’alerte à lancer…
Jean-Luc Porquet
(1) Alertes santé, experts et citoyen face aux intérêts privés, par André Cicolella et Dorothée Benoit Browaeys (Fayard, 420 p., 22 €).
(2) guérir du cancer ou s’en protéger, par le Pr Belpomme, (Fayard, 444 p., 22 €).
in Le Canard enchaîné du 8 juin 2005.