Entre silence et mensonge. Le nucléaire, de la raison d’état au recyclage « écologique »
Lorsqu’on parle du nucléaire, le problème est de savoir par quoi commencer. Dans le tissu de mensonges qui servent à justifier l’emploi de cette technologie, lequel dissiper en premier? Parmi tous les dangers extrêmes dont il est porteur risque d’accident, déchets dont on ne sait que faire, prolifération, par lequel commencer ? La question – à l’heure où une nouvelle stratégie se met en place, qui espère le faire apparaître comme un remède « écologique » au réchauffement climatique – est dès lors de comprendre comment il a pu nous être autoritairement imposé.
[...] Cette origine militaire, aussi bien des techniques que des organismes, a perpétué la culture du secret qui reste l’une des caractéristiques de l’industrie nucléaire civile.
[...] Parce que ces technologies ont été mises au point pour les besoins militaires, des considérations qui auraient dû être décisives ont été négligées: on ne s’est pas suffisamment soucié du risque que présentaient ces installations, ni surtout de la question des déchets.
[...] Il y a donc un risque d’accident grave qui concerne à la fois, dans des formes différentes, les centrales, les usines, les transports de matières radioactives et l’entreposage ou le stockage de déchets.
[...] On nous présente l’EPR comme un réacteur plus sûr, mais on pourrait rappeler sur ce point les doutes de certains experts sur cette affirmation: en cas d’accident majeur, le core catcher (le réceptacle destiné à recueillir et isoler le coeur fondu du réacteur) et ses bassins de refroidissement pourraient s’avérer incapables de remplir leur fonction et de permettre le refroidissement du coeur, et au contraire provoquer de violentes explosions de vapeur, susceptibles de détruire l’enceinte de confinement; de plus, les taux de combustion étant plus élevés et les combustibles irradiés plus radioactifs, l’impact d’un accident serait plus important qu’avec un autre type de réacteur; enfin, il a été reconnu que le réacteur ne résisterait pas au choc frontal d’un avion de ligne 4.
[...] Il faut d’ailleurs noter que l’AIEA (l’Agence internationale de l’énergie atomique) a toujours cherché à masquer l’ampleur de la catastrophe de Tchernobyl, allant jusqu’à soutenir, jusqu’à très récemment, que le nombre de victimes ne s’élevait qu’à400, et ne reconnaissant aujourd’hui que 4000victimes, alors que celles-ci se comptent probablement en centaines de milliers9. D’après le ministre ukrainien de la Santé, 2,4millions d’Ukrainiens, dont 400000enfants, souffrent toujours de problèmes de santé liés à l’accident de Tchernobyl.
[...] Mais ce qu’il est important de voir, c’est que le retraitement n’élimine absolument pas les déchets. On les sépare, on les trie, mais on ne s’en débarrasse pas. Pour l’instant, on n’a aucune solution.
Le retraitement n’est donc pas une solution? Avec ce terme – EDF utilise même celui de «recyclage»–, on a l’impression qu’il y a une réutilisation des combustibles irradiés, et que le problème des déchets est réglé.
[…] Le nucléaire représente assez peu dans la consommation d’énergie primaire mondiale. On dit que le nucléaire représente 6% et que l’hydraulique plus l’éolien, etc., représentent à peu près 3%. Ce qui déjà n’est pas beaucoup, mais, en plus, pour le nucléaire, on compte, dans l’énergie qu’on appelle l’énergie primaire, la chaleur produite dans le réacteur, et non la seule électricité.
Or il y a une importante déperdition de chaleur.
Une déperdition des deux tiers, si l’on considère l’énergie produite en amont, et non l’énergie utilisable. Si l’on tient compte de cette déperdition, on s’aperçoit que les renouvelables fournissent en fait plus d’électricité que le nucléaire.
Extraits de l’interview de Bernard Laponche par Charlotte Nordmann à lire sur La Revue des Livres, Numéro 14 : Entre silence et mensonge. Le nucléaire, de la raison d’état au recyclage « écologique »