Héritiers situationnistes
Lors de l’arrestation de Julien Coupat et des personnes accusées d’avoir saboté les lignes de la SNCF à l’automne 2008, parmi tous les noms plus ou moins fantaisistes utilisés par la ministre de l’Intérieur et les services de police pour décrire la nébuleuse politico-idéologique auquel les « terroristes » appartenaient, il en est un, un seul, qui avait une certaine légitimité : celui d’ultra-gauche. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce terme n’a pas été forgé pour l’occasion, comme celui, plutôt comique, d’« anarcho-autonome ». Et même si son usage a parfois été contesté par ceux qu’il était censé désigner, il possède indubitablement une valeur descriptive. En effet, bien qu’ils soient restés attachés au projet communiste, les mouvements qu’on regroupe sous le nom d’« ultra-gauche » se sont toujours démarqués de l’extrême gauche par leur opposition à Lénine, à Trotski et à leurs héritiers. Ce qui particularise également l’ultra-gauche, c’est la critique, voire le rejet pur et simple, des modes d’action propres à l’extrême gauche – qu’il s’agisse de l’organisation en partis ou en syndicats, du parlementarisme ou du soutien aux luttes antifascistes ou de libération nationale. L’ultra-gauche a toujours privilégié des formes d’organisation anti-hiérarchiques basées sur la démocratie directe, et la concentration de toutes ses forces en direction d’un seul but : la révolution. En effet, vouant aux gémonies les formations d’extrême gauche traditionnelles, la mouvance impliquée dans Tiqqun et ses avatars successifs ne se reconnaissait que dans un Parti « imaginaire » : le parti de ceux « qui choisissent de vivre dans les interstices du monde marchand et refusent de participer à quoi que ce soit qui ait rapport avec lui ». Ce qui ne l’empêchait pas de reprendre la question du communisme à nouveaux frais, non pas comme système politique ou économique – « Le communisme se passe très bien de Marx. Le communisme se fout de l’URSS » – mais comme instauration d’une forme de communauté authentique : « Une chose m’est propre dans la mesure où elle rentre dans le domaine de mes usages, et non en vertu de quelque titre juridique. La propriété légale n’a d’autre réalité, en fin de compte, que les forces qui la protègent. La question du communisme est donc d’un côté de supprimer la police, et de l’autre d’élaborer entre ceux qui vivent ensemble des modes de partage, des usages. » L’Appel
Plus exactement – et les services de police l’ont reconnu eux-mêmes – Tiqqun, Coupat et alii s’inscrivaient dans la filiation de l’Internationale situationniste I.S., un mouvement singulier à tous points de vue : Guy Debord, qui en fut l’un des principaux meneurs, le définissait en 1963 « à la fois comme une avant-garde artistique, une recherche expérimentale sur la voie d’une construction libre de la vie quotidienne, enfin une contribution à l’édification théorique et pratique d’une nouvelle contestation révolutionnaire » [4]. Né dans les années 1950 de la rencontre entre plusieurs artistes issus du surréalisme et du lettrisme, ce groupe en était venu progressivement à adopter les positions politiques de l’ultra-gauche de son temps ; une trajectoire singulière qui s’explique tout autant par sa rencontre avec certains intellectuels marxistes « hérétiques » Henri Lefebvre, Cornelius Castoriadis, etc., que par son ardente recherche des moyens susceptibles de rendre la vie intégralement poétique, par-delà les limites que lui impose un certain ordre du monde social…
A lire sur le tigre : www.le-tigre.net/Heritiers-situationnistes.html#nh1-11
Lire aussi l’article de wikipedia sur l’Internationale situationniste : fr.wikipedia.org/wiki/Internationale_situationniste