« Je préférerais ne pas » : variations autour du Bartleby d’Herman Melville
Une force d’inertie gigantesque, merveilleuse, voilà l’art de Bartleby, sa magie. Il ne se courbe pas sous les ordres, il ne bronche pas quand l’interroge son placide patron, il ne cède pas d’un pouce quand on l’engueule. Bartleby ne veut pas, préfèrerait n’en rien faire. Et c’est ce qu’il fait : RIEN. Programme de titan. Et cinglante leçon en ces temps de déconfiture libérale…
[...] Bartleby est un visionnaire, un prophète. Le « NE TRAVAILLEZ JAMAIS » de Debord et consorts, il l’a assimilé bien avant eux, il l’a mis en œuvre avec force et persévérance, dès 1853 [4] . Et il ne s’est pas contenté de l’appliquer depuis chez lui, feignasse ensevelie sous les couettes, nihiliste de canapé. Non, son art de l’inertie, il l’a importé dans le saint des saints, la Mecque financière, Wall Street. De là, son pouvoir de nuisance est décuplé. C’est d’ailleurs là qu’il s’installe, qu’il fait son nid douillet. Car, non content de refuser de travailler, Bartleby finit par s’installer dans son bureau, y dormir toutes les nuits.
Bartleby n’a pas l’ambition d’un Jérome Kerviel, il n’est pas là pour amasser des tonnes d’argent ou les perdre. Il s’en fout, lui, de l’évolution des cours, du système financier qui déraille. Qu’on le laisse tranquille avec tout ça, il préfère sa petite vie de rat de bureau, son existence lisse et morne, entièrement dévouée à sa sainte cause : ne rien faire qui lui déplaise. Voilà qui abrase toute hiérarchie, toute servitude. Le patron n’est plus patron, il se fait proie, cibles des mécanismes du rongeur Bartleby. La gangrène personnifiée…
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