antimondialiste

[ louvoyer : naviguer en zigzag à contre vent ]

11/07/2005

les consommateurs victimes des « bourre-pifs »

Classé dans : consommation, désintoxicant, libertés @ 13:16

Le « marketing olfactif » est le nouveau « must » des techniques commerciales. Un parfum doit déclencher une irrépréssible envie d’acheter. Et peu importe les relents d’arnaque…
Après les réflexes pavloviens, les images subliminales et le sexe, les stratèges du marketing sont passés au harcèlement nasal. Depuis quelques années le « marketing olfactif » s’est discrètement infiltrée dans les rayons des grandes surfaces, les commerces de luxe et même les transports en commun. Objectif : diffuser une odeur pour « stimuler le système limbique du cortex cérébrale et déclencher une irrésistible pulsion d’achat« , explique Pascal Charlier, directeur général d’Indigo Parfums, une boite spécialisée dans l’olfactif. D’ailleurs, ça marche, affirme cet expert : « Répandre la senteur d’un produit augmente ses ventes de 18 à 20 %. »
Exemple : vous vous jetez sur les croissants du rayon boulangerie industrielle d’un supermarché ? C’est qu’on y répand une odeur – artificielle – de « bon pain chaud et croustillant« . Chez un concessionnaire Renault on peut admirer la Logan et ses sièges en Skaï au milieu d’éffluves de cuir évoquant le luxe et le confort. Durant l’été, les magasins Printemps diffusent un parfum de crème solaire au rayon maillot de bain… L’odeur de « cave à vins » doperait les ventes d’alcool dans les supermarchés.

Senteurs de marque
Même les collectivités locales s’y mettent.La Région Languedoc-Roussillon a ainsi tenté d’attirer de nouveaux touristes, via une campagne de pub dans les gares parisiennes, en répandant des arômes de romarin autour de ses affiches.
Depuis plus de dix ans, chaque matin, le premier geste des vendeurs des 60 magasins Nature et Découvertes est d’actionner un diffuseur de senteurs pas vraiment naturelles. Ce qui donne parfois l’impression qu’un pope est passé par là en agitant un encensoir.
Il ne s’agit pas seulement de déclencher un incontrôlable réflexe d’achat, mais aussi de créer une « image ». Désormais, pas une grande marque qui ne dispose de sa propre « identité olfative« , tout exprès conçue, au même titre que son logo ou son slogan. Cela va du McDonald’s, qui doit « sentir la bonne frite mais pas le graillon« , à la boutique de costards De Fursac, parfumée au bois éxotique, censé séduire le jeune cadre dynamique…

Métro, boulot, naseaux
La « cohérence » ne se mesure pas seulement au pif, mais doit être recherchée dans les profondeurs de l’âme. Aurélie Duclos assure que « les odeurs agissent directement sur notre mémoire la plus archaïque, siège des sentiments« .
Exemple, la vanille renverrait inconsciemment à l’enfance, donc à la maternité, pour finir par évoquer la confiance et la sérénité. Air France, comme d’autres compagnies à travers le monde, y croit dur comme fer. des senteurs apaisantes sont diffusées dans les appareils lors du décollage et de l’atterrissage. Idem pour les parkings public Vinci, dont les automobilistes se plaignaient d’être incommodés par quelques relents douteux dans les cages d’escaliers. En clair ça empestait l’urine. La société Parfum Indigo s’est penchée sur le problème et a créé un « neutraliseur d’odeur qui permet de se sentir plus à l’aise et aux femmes plus en sécurité« .
Mais donner une bonne claque aux mauvaises odeurs n’est pas toujours facile. La RATP en a fait la cuisante expérience. Croyant bien faire, la régie a parfumé ses stations, voilà quelques années, avec une fragrance mentholée. Catastrophe, des usagers avaient la nausée ! …
La compagnie pétrolière Total s’est elle aussi cassée le nez, et a dû renoncer à parfumer son essence à la fraise. Pas assez virile et trop décalé. Une grande surface qui diffusait de l’extrait de canelle pour écouler des glaces a vu fuir la moitié des chalands…
D’autres initiatives sont plus inquiétantes. En Grande-Bretagne, la firme Bodywise a aspergé les factures d’une société de recouvrement d’androstérones, une hormone mâle. Résultat, selon le marchand d’odeur : un bond de 17 % parmi les débiteurs récalcitrants qui ont consenti soudain à payer leurs dettes, impressionnés sans le savoir par ce parfum de virilité…

Au fait, trifouiller de la sorte notre système limbique est-il bien moral, voire légal ? Pour le professeur Patrick Hetzel, la dimension « éthique » du marketing olfactif est primordiale. « On ne doit pas tromper le consommateur ou essayer de le manipuler. C’est immoral et dangereux. » Les entreprises spécialisées jurent respecter certaines règles. L’une d’elles a ainsi refusé de créer un fumet de poisson frais pour une poissonnerie qui vendait exclusivement du surgelé. Décidément soupçonneux et empêcheurs de consommer en rond, nos voisins suisses ont même légiféré. Depuis 1999, le Conseil fédéral helvétique interdit purement et simplement « l’odorisation trompeuse de produits alimentaires« .
En France, la loi est plutôt vague. Selon la Répression des fraudes, l’écart entre produit parfumé artificiellement, modification de la réalité et publicité mensongère reste flou. Dans ces conditions, pas facile de flairer la tricherie. Pour le moment, aucune affaire de tromperie sur la marchandise liée au marketing olfactif n’est arrivée jusqu’aux narines des juges. On n’a pas fini d’être menés par le bout du nez.

Jérôme Canard
un article du canard enchaîné du mercredi 29 juin 2005


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