antimondialiste

[ louvoyer : naviguer en zigzag à contre vent ]

26/11/2008

Why I Copyfight (pourquoi je me bats contre les droits d’auteurs)

En quoi tout ce « truc » de droits d’auteur est-il si important? Quel en est l’enjeu?

Tout.

Jusqu’à récemment, le copyright était une loi industrielle. Si vous tombiez sous le domaine du droit d’auteur, cela signifiait que vous utilisiez une machine industrielle hors du commun comme une presse à imprimer, une caméra de cinéma ou une presse à disques. Le prix de ces appareils étant élevé, le fait d’ajouter quelques centaines de dollars à la transaction pour les services d’un avocat qualifié sur les droits d’auteur n’était pas d’une grande gêne. Cela se borne à quelques points de pourcentage des frais généraux sur le volume des affaires.

Lorsque des entités non industrielles (par exemple, les gens, les écoles, les groupes religieux, etc…) utilisaient des œuvres protégées, elles faisaient des choses sur lesquelles les droits d’auteur n’avait rien à dire : ils lisaient des livres, ils écoutaient de la musique, ils chantaient autour du piano ou allaient au cinéma. Ils en discutaient. Ils les chantaient sous la douche. Ils les racontaient (avec des variations) aux enfants à l’heure de se coucher. Ils le citaient. Ils peignaient des fresques qui s’en inspiraient sur les murs des chambres des enfants.

Puis vinrent les premiers jours de la copyfight : la période analogique, lorsque les magnétoscopes, les platines double-cassettes, les photocopieurs et autres technologies de proto-copie débarquèrent. Il était alors possible de faire des choses avec ces œuvres qui nous entourent qui sont passées dans le domaine des activités sujettes à la règlementation des droits d’auteurs (les copier, les jouer, les afficher, les adapter). Des stands dans les conventions spécialisées proposaient des fois aux « accros », des faux romans écrits par des « fans » de science fiction, les adolescents se faisaient la cour avec des cassettes de mix, on apportait chez le voisin une cassette VHS d’un film enregistré à la télé pour le visionner ensemble en faisant la fête.

Et pourtant, il y avait comparativement assez peu de danger dans ces actions. Bien que ces activités étaient d’une légalité douteuse (certes, les grands groupes de droits les considéraient comme les valises nucléaires de la technologie, en comparant le magnétoscope à l’Étrangleur de Boston et promettant que « l’enregistrement allait tuer la musique »), le prix des lois répressives est démesuré. Editeurs, labels et studios n’avaient aucun contrôle sur ce que vous faites à la maison, au travail, dans vos fêtes et vos farces, malgré un coûteux réseau de délateurs payés dont l’ensemble des salaires dépasse toutes les pertes qu’ils auraient pu subir.

Venons-en maintenant à Internet et à l’ordinateur personnel. Ces deux technologies constituent une turbulence parfaite pour faire tomber les activités ordinaires des gens ordinaires dans le domaine du droit d’auteur : chaque ménage possède l’appareil permettant de commettre des actes de contrefaçon massive (PC) et les infractions se déroulant sur un canal public (Internet) elles peuvent être suivies à peu de frais, ce qui permet facilement de forcer des milliers de gens ordinaires à appliquer la loi.

De plus, les transactions sur Internet sont plus susceptibles de commettre une infraction de droit d’auteur que leurs équivalents hors ligne. Et ceci parce que toutes les transactions sur Internet impliquent des copies. Internet est un système efficace pour copier des fichiers entre ordinateurs. Alors qu’une conversation dans votre cuisine entraîne simplement des perturbations de l’air par le bruit, la même conversation sur le net consiste à la copier à des milliers d’exemplaires.
Chaque fois que vous appuyez sur une touche du clavier, elle est copiée plusieurs fois sur votre ordinateur, puis copiée dans votre modem, puis sur une série de routeurs, de là, (souvent) à un serveur, qui probablement en fait des centaines de copies éphémères ou durables, puis copiée chez votre interlocuteur, sur l’ordinateur duquel des dizaines d’autres copies seront encore faites.

La loi sur les droits d’auteur valide la copie comme un évènement rare et remarquable. Sur Internet, la copie est automatique, massive, instantanée, libre et constante. Prenez une bande dessinée de Dilbert et collez-la sur votre porte de bureau, vous ne violez pas les copyrights. Prenez une photo de votre porte de bureau et mettez-la sur votre page d’accueil de sorte que vos collègues puissent la voir, et vous avez violé les droits d’auteur, et comme ceux-ci traitent la copie comme une activité rare, ils évaluent des sanctions qui atteignent des centaines de milliers de dollars pour chaque acte de contrefaçon.

Il y a un mot qui définit tout ce que nous faisons avec des œuvres de création à chaque fois qu’on en parle, qu’on le raconte, le chante, le joue, le dessine, et le pense : nous appelons cela la culture.

La culture est ancienne, plus vieille que les droits d’auteur.

L’existence de la culture est la raison pour laquelle le droit d’auteur est précieux.
Notre appétit insatiable pour des chansons à chanter ensemble, des histoires à partager, pour l’art de regarder et d’ajouter de nouveaux horizons à notre vocabulaire visuel est la raison pour laquelle les gens vont payer pour ces choses.

Permettez-moi de redire cela d’une autre façon : la raison pour laquelle le droit d’auteur existe est que la culture crée un marché pour des œuvres de création. Si ce marché n’existait pas, il n’y aurait aucune raison de se soucier des droits d’auteur.

Le contenu n’est pas roi, la culture oui. La raison pour laquelle nous allons au cinéma est d’avoir quelque chose à dire. Si je vous envoyais sur une île déserte et vous disais de choisir entre vos disques et vos amis, vous seriez un sociopathe si votre choix était la musique.

L’impératif de la culture est de partager l’information : la culture est de l’information partagée. Les lecteurs de science fiction le savent : le gars en face de vous dans le métro avec un roman de SF dans ses mains fait partie de votre groupe. Vous avez tous deux, presque certainement, lu les mêmes livres, vous avez des référents culturels communs, des sujets de conversation à échanger.

Lorsque vous entendez une chanson que vous aimez, vous la jouez pour les gens de votre tribu. Lorsque vous lisez un livre que vous aimez, vous le glissez entre les mains de vos amis afin de les encourager à le lire. Lorsque vous avez vu un beau spectacle, vous conseillez à vos amis de le regarder aussi, ou bien vous cherchez des gens qui l’ont déjà vu afin d’en parler avec eux.

Ainsi, l’inclination naturelle de toute personne émue par une oeuvre est de la partager. Et puisque «partager» sur Internet revient à « copier », cela vous met dans le viseur du droit d’auteur. Tout le monde copie. Dan Glickman, l’ex-député qui est maintenant à la tête de la Motion Picture Association of America (aussi pur extrémiste des droits d’auteur que vous pourriez l’espérer) a admis avoir copié le documentaire : This Film is Not Yet Rated de Kirby Dick (une critique brûlante du système d’attribution de notes de la MPAA), en invoquant une excuse fumante. Prétendre que vous ne copiez pas revient à adopter l’hypocrisie victorienne tordue qui jurait ne jamais, au grand jamais se masturber. Tous savent bien qu’ils mentent et un grand nombre d’entre nous savent que tout le monde ment de même.

Mais le problème du droit d’auteur est que la plupart des copistes admettent allègrement qu’ils copient. La majorité des utilisateurs américains d’Internet se livrent à une infraction de partage de fichiers. Si le partage de fichiers était éliminé demain, ils échangeraient les mêmes fichiers – et plus même – en revendant des disques durs, clés USB, ou cartes mémoire (plus de données changeraient de mains, quoique plus lentement).

Soit les copistes savent qu’ils sont dans l’illégalité, mais ils ne s’en soucient pas, soit ils estiment que la loi ne peut pas criminaliser ce qu’ils font et supposent que seules les formes les plus graves de copie, telles que la vente des DVD pirates dans la rue, sont punies. En fait, les droits d’auteur sanctionnent la vente de ces DVD beaucoup moins gravement que le partage gratuit des mêmes films sur Internet, et le risque d’acheter un de ces DVDs est beaucoup plus faible (grâce au coût élevé des peines encourues par les personnes qui font ces transactions dans le monde réel) que celui de le télécharger en ligne.

En effet, les copistes contribuent activement à la construction et à l’élaboration d’une éthique concernant ce qui peut être partagé ou ce qui ne peut pas l’être, avec qui et dans quelles circonstances. Ils adhérent à des cercles de partage privé, font valoir les normes entre eux, et en paroles comme en actions créent une pléthore de « pseudo droits d’auteur » qui reflète une compréhension culturelle de ce qu’ils sont en train de faire.

La tragédie est que ces pseudo droits d’auteur n’ont rien à voir avec les vrais droits d’auteur. Peu importe combien vous la respectez, vous êtes sans doute en train d’enfreindre la loi – si vous faites des clips vidéos (vidéos de musique pop remixées habilement à partir de clips de films animés – recherchez « amv » dans google pour voir des exemples ), même si vous respectez toutes les règles de votre groupe de ne pas le divulguer et de n’utiliser que certaines sources de musique et de vidéos, vous commettez encore des infractions pour des millions de dollars à chaque fois que vous vous asseyez à votre clavier.

Il n’est pas surprenant que les pseudo droits d’auteur et les droits d’auteur n’aient pas grand choses à voir ensemble. Après tout, le copyright régule ce que ces entreprises géantes font entre elles. Les pseudo droits d’auteur régissent les individus au sein du groupe dans un certain contexte culturel. Pourquoi être surpris de l’incohérence de ces lois entre elles?

Il est tout à fait plausible qu’une entente soit conclue entre les copistes et les titulaires de droits d’auteur : un ensemble de lois qui essayeraient seulement de comprendre « la culture » et non pas « l’industrie ». Mais la seule façon d’attirer les copistes à la table des négociations est d’arrêter d’insister sur le fait que la copie non autorisée est du vol, mauvaise et criminelle. Les gens qui savent que la copie est simple, bonne, et bénéfique entendent cela et supposent que soit vous êtes insensé ou bien que vous parlez de quelqu’un d’autre.

Parce que si la copie sur Internet devait disparaître demain, ce serait aussi la fin de la culture sur Internet. YouTube disparaîtrait sans son stock de clips illégaux, LiveJournal ou MySpace seraient morts sans toutes ces petites icônes d’utilisateur marrantes et les « copier-collers » fascinants d’extraits de livres, de nouvelles et de blogs, Flickr dessècherait au vent sans toutes ces photos d’objets, d’œuvres et de scènes protégés par des droits d’auteur, marques déposées et autres.

Ces échanges là sont la raison pour laquelle nous voulons ce dont nous sommes en train de discuter. La littérature des fans de science fiction est écrite par des gens qui aiment les livres. Les clips sur YouTube sont faits par des gens qui veulent que vous regardiez les programmes dont ils sont extraits et en discuter. Les icônes des réseaux sociaux montrent vos affinités pour les œuvres qu’ils représentent.

Si la culture perd la guerre des droits d’auteur, la raison qui justifie les copyrights meurt avec elle.

Cory Doctorow

L’article original Why I Copyfight est disponible en anglais sur Locus Online :
www.locusmag.com/Features/2008/11/cory-doctorow-why-i-copyfight.html

Le loup voyou avait déjà publié un autre texte du même auteur au mois de mars dernier : Scroogled : khepra.free.fr/loup_voyou/index.php/engoogles-scroogled-une-nouvelle-de-cory-doctorow/2008/03/19/

Cory Doctorow sur wikipedia : fr.wikipedia.org/wiki/Cory_Doctorow
et sur fluctuat.net : livres.fluctuat.net/cory-doctorow.html

traduction par Sté de l’article posté par Cyrille.


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