antimondialiste

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12/04/2006

la culture de la peur

la culture de la peur est le sujet de différentes thèses sociologiques, qui analysent le fait que les sentiments de terreur et d’inquiétude prédominant dans les discours et les relations publics contemporains changent notre rapport à l’autre en tant qu’individus et qu’acteurs démocratiques. Si chacune de ces thèses rend compte différemment des conséquences des tendances qu’elle cherche à décrire, et si chacune puise à des sources diverses, la plupart s’accorde à reconnaître qu’il s’agit là d’un phénomène relativement nouveau et que ses implications sont importantes et potentiellement nocives. Un grand nombre des commentateurs qui approuvent cette idée sont situés politiquement à gauche, et affirment que la manipulation culturelle est une spécificité des politiques de droite.

Les variantes de la thèse
Différents observateurs sociaux ont contribué à developper une thèse de la Culture de la Peur, y apportant chacun une contribution distinctive. Cela va de ceux qui considèrent le phénomène comme étant consciemment dirigé – une politique délibérée de semer la terreur – jusqu’à ceux qui le traitent comme une conséquence spontanée du déroulement historique, comme une réaction réflexe aux changements des sociétés humaines.

La peur fabriquée
Parmi ceux qui soutiennent l’idée qu’une culture de la peur est délibérément mise en place, on peut citer le linguiste Noam Chomsky, le journaliste Alex Jones, le sociologue Barry Glassner ou des auteurs de films polémiques tels qu’Adam Curtis et Michael Moore qui a été accusé d’entretenir exactement ce qu’il critiquait [ 1 ], [ 2 ]. Les raisons invoquées pour expliquer cette intention délibérée de semer la terreur varient, mais elles s’articulent toutes autour des possibilités d’augmenter le contrôle social offertes aux pouvoirs en place par des populations méfiantes et qui se craignent mutuellement.
Ainsi, les peurs sont créées et entretenues soigneusement puis reprises de manière répétitive par les médias et d’autres sources – par la manipulation des mots, des faits, des nouvelles, des sources ou des données, de façon à provoquer certains comportements individuels, à justifier des actions ou des politiques (intérieures ou extérieures), pour que les gens continuent à consommer, à élire des politiciens démagogiques, ou encore pour distraire l’attention du public de problèmes sociaux véritablement plus urgents comme la pauvreté, l’insécurité, le chômage, la criminalité ou la pollution. Ces commentateurs suggèrent de reconsidérer toute une gamme de processus culturels comme autant de techniques délibérées pour semer la terreur. Par exemple :

  • Le soin apporté au choix et à l’omission des informations (quelques faits appropriés sont montrés et certains ne le sont pas) ;
  • La déformation des statistiques ou des chiffres ;
  • La transformation d’événements isolés en épidémies sociales ;
  • La corruption et la déformation de mots ou d’un type de terminologie à des fins spécifiques ;
  • La stigmatisation des minorités, particulièrement quand elles sont associées à des actes criminels ou à des comportements dégradants ;
  • La généralisation de situations complexes à multiples facettes ;
  • L’inversion causale (la transformation d’une cause en effet et vice-versa) .

Cependant, il est tout à fait possible que le principe d’auto-récompense fasse partie de certaines peurs et par conséquent qu’elles soient mises en avant et répétées sans effort conscient, puis retenues et utilisées pour effrayer les gens afin qu’ils achètent certaines marchandises et services ou qu’ils votent d’une certaine manière.


La terreur émergente

A l’inverse, d’autres thèses présentent la peur comme une réaction sensible qui naît spontanément de tous les recoins de la société contemporaine. Franck Furedi, d’origine hongroise, professeur de sociologie à l’université de Kent (GB), est représentatif de cette tendance avec ses livres, Culture of Fear: Risk-taking and the Morality of Low Expectations (1997) et Politics of Fear: Beyond Left and Right (2005).
La théorie de Furedi situe l’origine de ce phénomène dans ce qu’il nomme « l’échec de l’imagination historique », symptôme de ce qu’il identifie comme l’épuisement des systèmes sémantiques de la politique du 20ème siècle.

C’est mon expérience de la panique autour de la pilule contraceptive de 1995 qui m’a poussé à écrire Culture of Fear. J’ai étudié globalement les réactions nationales à la panique, et rapidement il m’est apparu avec évidence que les différences de réactions étaient culturelles. Certaines sociétés, comme les sociétés britannique et allemande, ont réagi de façon confuse et paniquée, tandis que des pays comme la France, la Belgique ou Hong Kong ont adopté une approche plus calme et plus mesurée. [ 3 ]

Selon Furedi, un sentiment universel de crainte précède et renforce l’expression de la peur véhiculée par les médias et les politiciens. Alors que les médias et les politiciens pourraient amplifier et exploiter cette sensibilité, leur action n’est pas déterminante dans la mise en place de cette culture de la peur. Furedi équilibre les responsabilités : les différents courants « anti-establishment » ou « libéraux » (*) sont au moins aussi complices de l’exploitation de la terreur (la catastrophe écologique, par exemple) que le pouvoir établi qui est généralement accusé de tirer bénéfice de cette culture de la peur.

L’absence de peur
On peut employer le procedé de création de la terreur pour étouffer celle-ci en rendant tout problème insignifiant ou en l’ignorant complètement, une sorte de mort par apathie. Il est difficile d’être effrayé par quelque chose qui n’existe pas. On peut citer par exemple les questions de l’amiante, du plomb ou de la cigarette : tant qu’on ne peut pas prouver leur nocivité d’une manière concluante, tous ces problèmes sont occultés. De même le fait de ne pas donner d’informations sur les guerres pourrait, à la longue, entretenir l’illusion qu’elles n’existent pas.

Etudes de cas

Chacun des observateurs cités ci-dessus a sélectionné des exemples parmi les discours publics récents pour illustrer son propos. A chaque fois, l’idée générale est que la nature de la menace évoquée est hors de proportion par rapport aux vrais risques et aux nuisances encourus. Les différents intervenants se concentrent chacun sur un aspect de la question. Par exemple, l’un s’arrêtera sur la distorsion des récits lorsqu’ils sont filtrés par les médias nationaux, alors que d’autres s’attacheront à la réceptivité du public, ou à son empressement à changer son comportement ou son vote. Dans chaque cas, il peut y avoir plusieurs experts et organismes qui contestent le fait que les problèmes sont indûment exagérés.

  • La résistance aux antibiotiques : des microbes deviennent-ils résistants aux médicaments? par exemple le staphylocoque doré
  • Les implants mammaires : fuient-ils?
  • Les téléphones mobiles : causent-ils le cancer du cerveau et des feux dans les stations services?
  • L’industrie pharmaceutique : quels sont les effets secondaires des médicaments?
  • Prohibition des drogues : devraient-elles être légalisées?
  • Les Donjons et dragons, Harry Potter et la musique : corrompent-ils mes enfants?
  • La qualité sanitaire de la nourriture : les aliments sont-ils bons à manger?
  • Le réchauffement de la planète : quel est l’impact global des niveaux croissants d’émissions de CO2?
  • La sécurité du domicile : suis-je protégé contre les intrus?
  • Le SIDA : quel est le niveau de contagion de la maladie?
  • Les vaccins : sont-ils sûrs bien qu’ils soient faits à partir d’oeufs de poule et qu’ils contiennent du mercure?
  • Abeilles tueuses : à quel point sont-elles venimeuses?
  • L’énergie nucléaire : quels sont les effets d’une longue exposition aux rayonnements?
  • Le trou dans la couche d’ozone : le trou de l’ozone nous donnera-t-il le cancer?
  • Le paganisme et la sorcellerie : pouvons-nous faire confiance à nos voisins? une cible de nombreux groupes chrétiens conservateurs
  • Les pandémies : existe-t-il une maladie quelque part qui se répandra incontrôlablement et tuera tout le monde?
  • La pédophilie : puis-je faire confiance à des étrangers pour mes enfants? tout homme qui aime les gosses devrait-il être traité comme un danger? ce qui a donné lieu, par exemple au harcèlement d’un pédiatre au Royaume Uni
  • Les pauvres : sont-ils assez désespérés pour me voler?
  • Les abus dans les rituels sataniques : des étrangers sont-ils là pour kidnapper mes gosses?
  • La sécurité sociale : ai-je une sécurité pour ma retraite?
  • Le colorant Sudan l dans la sauce Worcester : une terreur alimentaire au Royaume Uni
  • Le terrorisme : qu’est-ce que je connais des gens des autres pays?
  • Les jeux videos violents et/ou sexuellement explicites : les jeux videos corrompent-ils la jeunesse?
  • Le syndrome de la traite des blanches et autres peurs de kidnapping : comment je protège mon épouse, mes enfants?
  • La zoophilie : puis-je confier mes animaux de compagnie à d’autres?
  • Google : l’agrégation des données des mots-clés compromet-elle potentiellement la vie privée du client?

Le contexte politique et la critique
La politique de George W. Bush, particulièrement son comportement et sa rhétorique autour de la guerre contre le terrorisme et l’invasion de l’Irak en 2003, ont été une des principales cibles des critiques de la gauche. Adam Curtis a également dénoncé la guerre contre la terreur, et Franck Furedi a fondé le parti communiste révolutionnaire en Grande-Bretagne. Dans ce contexte, la « culture de la peur » est prétendûment produite par l’administration Bush et ses alliés afin de gagner toujours plus de soutien pour les opérations militaires et de sécurité intérieure. En politique intérieure, des critiques libérales (*) accusent les politiciens conservateurs et les leaders moraux de chercher à effrayer les gens sur des sujets comme le crime ou les drogues illégales pour influencer simultanément l’opinion publique et les comportements personnels. Ils pensent que cette terreur est amplifiée de manière intentionnelle par les médias au profit des riches propriétaires conservateurs des grands médias. L’idée d’une « culture de la terreur » à l’échelle de la société entière est souvent perçue par les partis de gauche et les opposants conservateurs comme l’emblème de la manipulation culturelle de la droite à des fins politiques.

Il y a d’autres interprétations :

  • Dans les cas où ils fabriquent prétendûment des peurs, les politiciens réagissent en réalité à l’opinion publique (d’une manière raisonnable ou autrement).
  • Les problèmes mis en valeur sont légitimes, mais les critiques liberaux (*) ne sont pas d’accord avec les solutions proposées ou nécessaires, et donc ils souhaitent minimiser les problèmes.
  • Que les productions commerciales des médias optimisent leur audience, et l’information qui fait peur permet justement de capter son attention (certains argumenteraient même en disant que cela sert l’intérêt public).

Des libéraux (*) ont également été accusés de participer aussi à cette volonté de semer la terreur parce que cela cadrerait avec leurs propres ordres du jour politiques, particulièrement sur les questions de protection de l’environnement, de biotechnologie, et sur certains sujets tels que la sécurité alimentaire ou l’insécurité face à la prolifération des armes personnelles. Cependant, il n’est pas sûr que les avocats du libéralisme (*) tels que Chomsky et Moore analyseraient ces problèmes comme illégitimes, ou les incluraient dans la rubrique d’une « culture de la peur ».

Pour les sujets qui ne sont pas directement associés à la controverse gauche/droite, l’explosion des peurs délibérémment exagérées dans les discours publics pourrait être défini par d’autres commentateurs comme « alarmantes »: on en attribue les causes au manque d’éducation scientifique et générale du public, aux préjugés humains inhérents à l’évaluation du risque, au manque de rationalité de la pensée, à la fausse information, et au fait de donner trop d’importance aux rumeurs.

(*) Aux États-Unis, les « liberals » sont des sociaux-démocrates, ce qui les place à la gauche voire l’extrême gauche : l’accent est mis sur la liberté de mœurs et l’égalité (notamment raciale) dans le cadre d’une société pudibonde et travaillée par les questions raciales, alors que la liberté économique constitue la norme admise et que les entreprises sont une réalité aussi puissante que l’État. Les termes « communiste » et même « socialiste » étant pratiquement tabous (Cf. Maccarthysme), les partisans d’une intervention de l’État dans le domaine économique se sont réfugiés sous l’étiquette libérale.

ce texte est la traduction d’un article de Wikipedia : Culture of fear.

je remercie frederic et jacqueline pour leur aide de relecture de cette traduction que je vais proposer à Wikipedia. N’hésitez pas à me faire part de ce que vous en pensez dans les commentaires. sté.


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