« On ne se méfie jamais assez des journalistes », c’est cet adage que Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point et déjà auteur d’une biographie de Jacques Chirac, a choisi pour présenter son dernier livre « La tragédie du Président, scènes de la vie politique – 1986 – 2006 » (1). Familier de l’Elysée et confident des barons chiraquiens, il se garde pourtant de toute langue de bois pour décrire un Chirac à la personnalité plus tourmentée qu’on ne croit. Un Chirac qui abandonne sans remords ses compagnons d’hier et d’avant-hier, qui est convaincu que « la loyauté n’engage que ceux qui en font preuve », qui encaisse les scandales sans jamais se justifier, et qui sait désormais que, de ces dix ans de pouvoir, il ne restera, selon Giesbert, qu’une dissolution manquée et un référendum perdu.
Dans cette chronique de ces vingt années, les révélations fourmillent, et aussi les portraits acides, comme celui de Sarko, ou assassins, comme celui de Balladur, ou plus aimables, comme ceux de Juppé ou Raffarin. Mais c’est à Dominique de Villepin que Giesbert réserve ses pages les plus cruelles : « Il est habité par les convictions que la gloire l’attend et que son heure viendra . C’est pourquoi il faut que le monde entier soit à son service. La fausse noblesse d’Empire dont il est l’héritier l’a convaincu que l’époque n’était pas à la hauteur ».
Et, pour illustrer son propos, Giesbert cite les gracieusetés favorites du Premier ministre, pour qui la peu glorieuse humanité d’aujourd’hui se divise en « petits connards » et « gros cons ». Les journaux ? « Ces torche-culs ne racontent que des conneries ». Les hommes politiques ? « Le seul organe qui est développé chez eux est le trouillomètre ». Les députés UMP ? « Ces connards sont incapables d’avoir une seule idée en même temps. Dans leur vie privée, ils ont une maîtresse à Paris et une femme en province. En politique, c’est la même chose ».
Un Villepin dont la complexité des rapports avec « son » Président ne cesse de surprendre : « Il peut dire pis que pendre de Chirac avec cette cruauté des gens de maison . Surtout quand le Président ne se plie pas à ses volontés.»
En 1997, Chirac veut se séparer de Villepin, alors secrétaire général de l’Elysée et co-artisan de la dissolution : « Avant les vacances, le Président annonce donc à plusieurs de ses proches que sa décision est prise ». Le 28 août 1997, Villepin rencontre Giesbert et lui affirme sans le moindre trouble : « Le Président ne peut pas me virer. Il ne pourra jamais. Il m’a introduit dans le saint des saints. Je sais beaucoup trop de choses. A l’extérieur de son système, je deviendrais une bombe à retardement ». Et la « bombe à retardement » restera à l’Elysée.
Avant de pouvoir s’installer à Matignon, Villepin ne cesse pas, depuis le ministère de l’Intérieur où il a succédé à Sarkozy, de saper l’autorité de Jean-Pierre Raffarin, qu’il a surnommé « Raffarien ». Tous les moyens sont bons, note Giesbert : « On ne peut que s’interroger sur le goût de Villepin pour la chose policière. Par exemple, sur la façon dont il a géré l’affaire Ambiel, après que le conseiller et ami de Raffarin fût interpellé en compagnie d’une jeune prostituée de l’Est. « La nuit, confie Raffarin (à l’auteur), il y a toujours des ministres, des patrons ou des gens haut placés qui ont des problèmes avec la police. Dans ces cas-là, Sarkozy me prévenait à 8 heures du matin et ça ne sortait pas. Villepin m’a téléphoné à 13 heures et ça a fuité ».
Giesbert enfonce alors le clou : «Cet homme reste avant tout un Mozart de la manipulation, tout miel par-devant et sans pitié par-derrière. Il aime avant tout avoir barre sur les hommes. Les tenir. Les manœuvrer. Il n’a qu’une passion, lui-même, et une religion, le pouvoir. En arrivant à Matignon, il a donc une seule obsession. Elle s’appelle Sarkozy.»
Et là aussi, de l’affaire Clearstream aux problèmes conjugaux du couple Sarkozy, Villepin ne fait pas dans la dentelle : « Le nouveau chef du gouvernement a ciselé une formule dont il est très fier puisqu’il la répète à tout-va : «Un type qui ne peut pas garder sa femme ne peut pas garder la France ». Dans la foulée, , Villepin s’étonne que la presse soit si prudente quand elle parle de la rupture entre les Sarkozy : « Les journalistes français n’ont pas de couilles. Dans n’importe quel autre pays, ça ne se passerait pas comme ça, on raconterait cette histoire en donnant tous les détails (…). »
Même si l’éthique de la presse française lui a bien profité personnellement, Villepin n’en démord pas : « Les journalistes français n’ont rien dans la culotte. ».
La lecture du livre de Giesbert va peut-être lui démontrer le contraire…
(1) Flammarion , 414 p., 20 €
article extrait du canard enchaîné du 08 mars 2006
merci à jacqueline pour la saisie.