Dire merde au travail : méthode pratique et théorisation radicale
« Vous êtes dynamique / vous êtes motivé / Vous rêvez de rejoindre une équipe ambitieuse / Vous êtes créatif / Vous aimez la compétition… » Euh… pas vraiment… Alors, quand quelqu’un se charge de répondre vertement – et pour nous – aux offres d’emploi sorties du cerveau faisandé des DRH, on applaudit. Et itou quand un collectif démonte radicalement les mensonges et illusions de la valeur travail : on agite les quenottes avec enthousiasme.
« En plus je dois dire non à ton job. Je suis bientôt dans un meilleur autre job que les croissants. »
Renverser les rôles. A la passivité forcée du chercheur d’emploi multipliant les candidatures pour des prunes, substituer la force subversive du malpoli qui envoie bouler les règles en vigueur. Dire non. Non au monde du travail, à l’esclavage moderne, à l’obligation bouffeuse de vie, aux règles de bienséance professionnelle. Vaste programme auquel s’est employé Julien Prévieux pendant quelques années. En tout, il a envoyé plus de mille lettres en réponse à des offres d’emploi sélectionnées dans des journaux. Non pas pour postuler, étaler ses compétences et lisser le propos. Lui a préféré écrire pour dire pourquoi il ne postulait pas, n’était pas « motivé ». Des lettres de non-motivation quoi. Au total, 1 000. Pas d’inquiétude, la collection Zones [1] ont taillé dans le tas, en gardant (en gros) une cinquantaine de ces petits condensés d’absurde.
[...]
Ce que Prévieux fait instinctivement, avec humour et jubilation, le collectif Krisis lui donne un sens, le théorise. A tel point que les deux ouvrages, Lettres de non-motivation et Manifeste contre le travail, semblent fait pour se répondre et se compléter, l’un démontage rigolo de l’absurdité des us et coutumes du marché de l’emploi, l’autre charge violente et très fouillée sur l’asservissante et aliénante idéologie du travail.
Un constat, d’abord : pour les auteurs – Krisis est un collectif allemand de militants et penseurs, auteur de plusieurs ouvrage sur le travail, dont ce Manifeste publié en 1999 – la lecture marxiste est dépassée. Le monde ne peut plus se penser en terme de lutte des classes, celle-ci n’étant qu’une prolongation de la société capitaliste. Et l’affrontement entre bourgeoisie et prolétariat ne doit plus se concevoir comme un rapport de force et d’exploitation, puisqu’il s’agit de « deux intérêts différents (quoique différemment puissants) » inhérents au capitalisme. En clair, il n’est qu’une façon de se libérer et de parvenir à une société sans classes : mettre à bas la valeur travail, totalement et sans concession.
A lire sur Article11 : www.article11.info/spip/spip.php?article386