Ils arrivent !, par Tahar Ben Jelloun
Ce n’est plus le désert qui avance, ce sont des hommes et des femmes qui arpentent les sables, guidés par une lumière illusoire, et qui, au bout du parcours, finissent par se jeter contre des barrières en fil de fer barbelé. Certains bricolent des échelles avec des roseaux, d’autres escaladent ce mur mouvant pieds et mains nus. Le vent fait des trous dans ces frontières qu’enjambent des Africains avec force et détermination, quitte à perdre la vie. C’est que leur vie a été saccagée, ils veulent la changer, ils veulent sauver celle de leurs enfants restés au pays. Ils ont eu le temps d’apprivoiser la mort.
Au-delà du choc des images et de l’émotion, cette nouvelle désespérance non seulement nous parle mais vient jusqu’à nous, Européens bien lotis, enfants gâtés de la démocratie. Que nous dit-elle ? Simplement que l’Afrique, ou plus précisément ce qu’est devenu ce continent riche et passionnant, est notre avenir. Ce chaos nous guette, nous envoie des messages. A nous de les décoder et d’en tenir compte, c’est-à-dire mesurer la gravité du problème et l’ampleur de ses conséquences.
La décolonisation non seulement a été bâclée, mais sabotée un peu partout où des richesses naturelles ont attisé tant d’appétits. Le pillage de l’Afrique s’est affiné au point de devenir un système parallèle, où les rôles sont bien distribués. Moins les Etats sont organisés, plus le pillage est aisé. Un Etat de droit bien installé ne fait pas l’affaire des sociétés qui prétendent investir en Afrique. En fait, les infrastructures, comme les routes par exemple, sont proposées à des entreprises étrangères dont le comportement renforce le système de la corruption, des malversations et de l’inefficacité. On donne d’une main et on récupère de l’autre. Il faut arrêter cette hypocrisie qui va dans le sens des liaisons malsaines entretenues à l’égard de cette Afrique jeune et nouvelle par les anciens colonisateurs. Résultat : des pays sont condamnés à une sorte de clochardisation. Des cerveaux fuient, des jeunes bacheliers prennent la route de l’immigration sauvage, la caste dirigeante, militaire ou civile, est maintenue au pouvoir selon des calculs vicieux dont le but est de garantir les intérêts du protecteur…
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