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16/10/2005

Sécurité: «Le mirage technologique»

Classé dans : désintoxicant, libertés, sciences et technologies @ 00:18

Laurent Mucchielli, du CNRS, minimise l’impact de la technique dans les enquêtes, au moment où est présenté mercredi le projet de loi sur le terrorisme qui multiplie la vidéosurveillance.

A l’heure de la présentation mercredi prochain ­ du projet de loi sur le terrorisme qui fait la part belle aux technologies (renforcement de la vidéosurveillance, accès à l’historique des cybercafés…), un chercheur vient de produire une étude (1) qui souligne la prépondérance du renseignement humain par rapport aux outils techniques dans la résolution des crimes de sang. Laurent Mucchielli, chercheur au CNRS et directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), a dépouillé plus d’une centaine de dossiers d’homicides élucidés et une vingtaine de crimes de sang non élucidés dans le ressort de la cour d’appel de Versailles pour mesurer quels étaient les facteurs de résolution des affaires. Il s’est également entretenu avec des gendarmes d’une section de recherches et des policiers d’une brigade criminelle. Il en conclut que dans seulement 7 % des affaires élucidées, le travail sur la scène de crime initiale a permis grâce à des éléments matériels de récolter des preuves permettant d’inculper un ou des auteurs qui, sans cela, n’auraient peut-être pas été démasqués. En revanche, explique Laurent Mucchielli, dans presque la moitié des cas étudiés, ce sont les témoins directs du crime et beaucoup plus rarement les témoins indirects (ceux qui ont reçu la confession de l’auteur) qui ont permis la mise en accusation des auteurs. Dans un autre tiers des cas, ce sont les témoignages et les informations recueillies lors des enquêtes de voisinage qui ont permis l’identification de l’auteur. Laurent Mucchielli en conclut notamment que «la première cause de réussite d’une enquête criminelle est la coopération de la population» et que l’échec ou la réussite de l’élucidation des homicides dépend ainsi «de la qualité des relations qu’une organisation policière est capable d’entretenir avec la population générale».

A quoi sert la technologie dans la résolution des crimes ?

Dans les affaires que j’ai étudiées, je n’ai pas trouvé un seul exemple d’une technologie moderne qui ait été l’élément véritablement déterminant dans le processus d’élucidation. Au mieux, j’ai trouvé quelques affaires où la technologie a été un élément de preuve à charge, un soutien pour monter le dossier pénal. C’est par exemple l’utilisation d’une machine qui permet de détecter ce qu’on ne voit pas à l’oeil nu, comme une trace de sang sur un tapis lessivé. Ça a été un élément à charge important mais ça n’a pas été l’élément qui a mis sur la piste de l’auteur, qui a permis de reconstruire l’histoire et d’orienter l’enquête.

Pourtant la technique a une place importante dans le discours officiel de la police?

La technique joue un rôle important pour les enquêteurs pas tant dans leur activité réelle que dans leur identité professionnelle. Maîtriser les techniques, c’est être un «vrai professionnel». Le fin limier, c’est celui qui va maîtriser d’un côté ces techniques et qui de l’autre côté va avoir du nez, va être capable de mener un interrogatoire, de faire avouer. Or ce deuxième élément est plus proche de la réalité que le premier.

Que pensez-vous du discours qui minimise l’aveu et valorise la preuve scientifique ?

C’est le discours de l’institution policière depuis cent ans. Déjà au début du siècle, on trouve cette affirmation selon laquelle «l’aveu est dépassé, ce qui compte c’est la technique». De fait, les techniques évoluent. Mais à aucun moment, elles n’ont révolutionné les résultats des enquêtes. Dans mon étude, j’ai étudié l’évolution des taux d’élucidation à partir des chiffres du ministère de l’Intérieur, de 1974 à 2002. En aucune manière, on ne peut voir à la lecture de ces courbes la trace d’une rupture importante qui serait due à la production d’une technologie nouvelle. Et quand on arrive au bout des entretiens avec les policiers et les gendarmes et qu’on leur demande : «A quel moment avez-vous eu la certitude que vous teniez la bonne piste ?» on s’aperçoit que l’analyse de la situation humaine et la recherche de l’aveu sont toujours aussi importantes. Pour les enquêteurs, l’aveu est ce qui va tout relier, et ça ferme les autres hypothèses. C’est tellement important pour les enquêteurs qu’ils se préparent collectivement et psychologiquement à l’interrogatoire de recherche d’aveu. Mais bien sûr, en matière humaine, le risque de se tromper existe toujours.

Que pensez-vous d’un projet de loi qui prône l’extension de la vidéosurveillance et veut accéder aux données des cybercafés ?

On ne peut pas dire que les techniques modernes sont inutiles. Quand on sait ce que l’on cherche, ça peut aider beaucoup. Mais si on ne sait pas ce que l’on cherche, on est automatiquement noyé dans des millions d’informations dont on ne sait que faire. La technique n’est qu’un soutien logistique à un travail de renseignement alors qu’elle est présentée aujourd’hui comme la solution miracle qui produit elle-même le renseignement. C’est là qu’est l’erreur fondamentale, le mirage de «l’enchantement technologique». Imaginez un service de police qui recevrait chaque jour des dizaines de milliers de noms de voyageurs de tous les aéroports et les gares de France et un journal de connexion avec les millions de mails échangés dans les cybercafés, comment va-t-il pouvoir les traiter ? Il faudrait des centaines de policiers spécialisés qui, la plupart du temps, ne trouveraient absolument rien d’intéressant. Sans parler du risque d’atteintes à la vie privée. De la même manière, si on met des caméras à tous les coins de centre-ville, il faudra embaucher des milliers de gens pour regarder les images collectées. Tous ces éléments techniques ne sont ni préventifs, ni dissuasifs lorsqu’ils sont dirigés vers l’espace public en général. Les techniques ne peuvent qu’appuyer les enquêtes pour trouver quelque chose après coup, si on dispose déjà de pistes. Si on ne sait pas ce que l’on cherche, la technique ne peut rien, elle est aveugle. C’est l’homme qui a des yeux et un cerveau, ce n’est pas la machine.

(1) Laurent Mucchielli : «L’élucidation des homicides, de l’enchantement technologique à l’analyse des compétences des enquêteurs» (Cesdip, 2005, n° 98). Cette étude est téléchargeable sur www.cesdip.com

Par Jacky DURAND sur http://www.liberation.fr/


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