Vive le tricastintouin !
Désopilante, cette série noire à la centrale nucléaire du Tricastin ! Le 7 juillet, une grosse fuite d’uranium déclenche un tapage médiatique mahousse. Le 16 juillet des prélèvements mettent au jour une pollution ancienne dans les nappes phréatiques : le tapage reprend de plus belle. Et Anne Lauvergeon, la patronne d’Areva, se montre ulcérée par cette opinion publique qui s’affole bêtement : « Si à chaque fois que nous sommes transparents nous provoquons des craintes, il y a un problème ! » ( «Libé», 19/7). Heureusement, le 23 juillet, une centaine d’employés travaillant dans l’enceinte du réacteur n°4 du Tricastin sont contaminés par la poussière radioactive, et cet « incident » classé 0 sur l’échelle de gravité des « incidents » nucléaires ( donc vachement bénins ) ne passionne guère les foules : les JO de Pékin vont bientôt commencer…
Après un mois d’août atomiquement calme, voila que ce lundi 8 septembre, toujours au Tricastin, alors qu’on est en train de les extraire de la cuve du réacteur n°4, deux barres de combustible irradié restent bêtement accrochées aux structures supérieures de la cuve. Panique à bord, évacuation du bâtiment, classement de l’ « incident » au niveau 1 de l’échelle de gravité nucléaire ( comme celui du 7 juillet ). Et admirable indifférence médiatique : à l’heure où nous écrivons, les deux barres sont toujours coincées, mais tout le monde s’en bat le becquerel…
Et c’est ainsi qu’Anne Lauvergeon a gagné à force de « transparence », le populo a fini par s’habituer aux « incidents ». Et ça tombe bien, parce que la France en connaît une centaine par an ( de niveau 1 ), et que la fuite de juillet étant la 62e de l’année, il en reste une quarantaine à nous tomber dessus d’ici le réveillon. Et ça tombe encore mieux, parce que, le parc nucléaire étant vieillissant ( la moitié des 58 réacteurs français atteignent aujourd’hui la limite d’âge ), et EDF voulant continuer à les exploiter encore une trentaine d’années (1), les « incidents » vont se multiplier. D’où l’utilité de s’y accoutumer en douceur…
Dans une récente tribune (2), le sociologue pronucléaire Ulrich Beck note qu’à l’heure où l’on présente le nucléaire comme la solution miracle au réchauffement climatique, les gouvernements en « minimisent les incertitudes », comme au Tricastin. Il faut, conseille-t-il, dire la vérité à l’opinion. Lui expliquer que le réchauffement est dangereux mais que les centrales nucléaires que l’on commence à construire partout pour lutter contre le réchauffement le sont tout autant. Sinon… « on n’aura même pas besoin de voir survenir un mini-Tchernobyl en Europe » : il suffira d’un sérieux incident nucléaire pour que les populations se retournent violemment contre les gouvernements qu’elles accuseront de jouer sans discernement avec leur sécurité. Dans l’intérêt même de la filière nucléaire, dit-il, chaque « incident » devrait déclencher un tapage médiatique mahousse. Et Anne Lauvergeon devrait se réjouir de ces tapages… Croquignolet, non ?
Par Jean-Luc Porquet sur le Canard enchaîné du 17 septembre 2008.
(1) « Science et Vie », septembre.
(2) « Le danger nucléaire escamoté » (« Le Monde », 7/9.)