Volem rien foutre al païs
Il y a travailler et travailler.
Déjà, le titre est épastrouillant : « Volem rien foutre al païs », ça nous change, ce joli bras d’honneur à tous ceux qui en ce moment ne cessent de nous sermonner sur la « valeur-travail », comme si au pays du chômage de masse tout le monde devait s’agenouiller devant le travail, et n’avoir comme seul but dans la vie que de « travailler pour gagner plus ». Dans ce film foutraque et dissident, Pierre Carles et ses complices Christophe Coello et Stéphane Goxe vont à la rencontre de (plus ou moins) joyeux déserteurs. Des gens qui ont eu des « boulots de merde », des boulots abrutissants, humiliants, absurdes. La récente série de suicides chez Renault est venue nous le rappeler : on peut vraiment perdre sa vie à la gagner. Eux ont quitté le système plutôt que de se laisser écraser. Et ici et là, collectivement, ils essaient autre chose, gambergent, discutent, bricolent, inventent.
Il y a celui qui ne jure que par les ballots de paille : il nous les montre entassés dans son hangar, explique qu’il va fabriquer sa maison avec, savez-vous qu’une maison aux murs de paille coûte 100 fois moins cher qu’un pavillon standard ? Il y a celui qui chante la vertus des toilettes sèches : on chie, on jette une poignée de sciure, plus besoin d’eau, coupé le lien de dépendance avec Vivendi et autre Suez, c’est pas révolutionnaire, ça ? Il y a le collectif barcelonais qui prône le vol dans les supermarchés ; les squatters ; le fana du moteur à eau ; les réfractaires de la communauté Longo Maï ; celui qui touche le RMI et se revendique comme un « travailleur social » puisqu’il expérimente de nouveaux modes de vie, etc.
Des anti-bobos post-baba ? Oui, si l’on veut. Des zozos ? Pourquoi pas… Peut-être d’ailleurs est-ce inévitable : ceux qui cherchent à sortir de la grande machine à fabriquer des conduites normalisées passent toujours pour des farfelus – et le sont parfois. D’où cette impression que leurs expériences ne peuvent qu’être marginales, isolées, forcément rurales, impossible à généraliser. Dans d’autres domaines, l’humanitaire, par exemple, une génération a suffi qu’à partir d’un rêve et d’une indignation mêlés s’élaborent des modes de fonctionnement et d’organisation, des procédures, une efficacité collective réelle (voir MSF). Pourquoi l’antiproductivisme peine-t-il autant à trouver ses propres formes d’action ? Pourquoi cette impression de surplace ? Pourquoi l’économie sociale et solidaire est-elle absente de ce film ? Parce qu’elle n’est pas assez spectaculaire ? On y croise Gébé, qui lança la joyeuse utopie de « L’an 01 » C’était en 1973. Et ça semble loin derrière, et très loin devant…
par Jean-Luc Porquet
Le Canard Enchainé du 7 mars 2007
le site officiel du film où vous pourrez voir la bande annonce et les revues de presses : http://www.rienfoutre.cabrule-lefilm.com/
écouter l’entretien autour du film de Pierre Carles, Christophe Coello et Stéphane Goxe dans le là-bas si j’y suis du 8 mars 2007 : http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1126